Etrillé par les nouvelles attentes des clients, le business model vieillissant des cabinets d’avocats est à la peine. A charge pour eux de le réformer avant de se retrouver au pied du mur.
Être condamnés à péricliter ou innover pour rebondir ? Face notamment aux nouvelles attentes des directions juridiques , les cabinets d’avocats sont contraints de revoir leur business model aujourd’hui malmené. C’est le constat dressé par Bernard Lamon dans son livre blanc « Service juridiques : innover pour survivre au “nouveau maintenant” » (1). Confrontés à une forte pression sur leur budget, imposée par les directions générales et les DAF, les directeurs juridiques ont dû consentir à des efforts considérables, comme le note Richard Susskind dans son ouvrage « The End of Lawyers ? » (2). Dans leur ligne de mine : les cabinets d’avocats, auxquels ils demandent, dans un premier temps, un rabais sur leurs honoraires. Insuffisant, répondent certaines directions générales qui exigent la mise en place d’une « panélisation ». En jeu : identifier ce qu’il est possible de traiter en interne et ce qu’il est nécessaire d’externaliser, puis réaliser des appels d’offres en fonction des dossiers pour avoir le meilleur rapport qualité/prix dans le conseil juridique – même si la qualité du conseil prime toujours sur le prix dans l’esprit des directeurs juridiques, comme le montre la cartographie 2013 de la profession.
Le business model attaqué au coeur
Confrontés à cette nouvelle donne, les cabinets d’avocats, déjà concurrencés dans leurs activités de conseil par les experts-comptables, les experts des banques d’affaires et des fonds d’investissement, subissent « une très forte tension sur les chiffres d’affaires avec une remise en cause très sévère de la facturation au taux horaire », note Bernard Lamon. Perçu par Donna Seyle (3) comme source de « conflit d’intérêt majeur » entre l’avocat et son client qui ont, avec ce cadre, des intérêts divergents (le second voulant que la tâche soit réalisée le plus rapidement possible tandis que le premier est tenté d’augmenter sa facturation), le taux horaire laisse très progressivement la place à une facturation au forfait, à la tâche accomplie. Un bouleversement qui attaque au cœur le business model des cabinets d’avocats.
S’y ajoute une profonde mutation dans les méthodes de travail qui n’avaient pourtant « pas fondamentalement évolué depuis 50 ans », note l’auteur. « Les conclusions parviennent par des systèmes Internet, elles sont classées dans des logiciels spécifiques et les pièces les accompagnant sont bien souvent numérisées », explique-t-il. Avant de poursuivre : « Il existe une crise de transformation très profonde due probablement à quatre facteurs essentiels : la remise en cause des modèles économiques classiques de facturation, la taylorisation des tâches ou l’industrialisation, les technologies de l’information et l’irruption du numérique, et la libéralisation ».
Vers une « réorganisation » ?
Mais, plutôt que de se réformer, certains cabinets ont adopté la stratégie du dos rond qui colmate les brèches à court terme mais ne permet pas d’envisager sereinement l’avenir. Ainsi, révèle Bernard Lamon, certains cabinets parisiens ont pris des « mesures drastiques » en remerciant « tous les collaborateurs avocats de première année sans aucune différenciation, ni aucun état d’âme ».
Et pourtant, la logique d’économies ne passent pas par un « dégraissage humain » mais plutôt par une vraie « réorganisation » , analyse l’auteur : fin du modèle pyramidal de management où « des tâches sont confiées à des jeunes avocats surdiplômés alors qu’elles pourraient fort bien être réalisées par des collaborateurs juristes, voire être automatisées » ; glisser vers « une meilleure incitation à la spécialisation » en adoptant une taylorisation du métier, voire même une industrialisation, comme l’appelle Richard Susskind de ses vœux (4), qui permettrait de réduire les coûts, le temps passé et d’améliorer la qualité et la sécurité des conseils prodigués ; s’adapter à l’irruption du numérique qui a « démocratisé » l’accès au droit et ôté, dans une certaine mesure, le monopole du « sachant » aux cabinets d’avocats ; et, enfin, investir « principalement dans le besoin en fonds de roulement, dans la formation, dans la recherche et le développement ».
Toute la profession doit se mettre en mouvement
Loin de « s’arc-bouter sur leur monopole » ou de se « réfugier dans une nostalgie rétrograde », les avocats doivent donc s’ouvrir au changement, à commencer par les associés. Reprenant à son compte la citation d’Albert Schweitzer (« L’exemplarité n’est pas la meilleure méthode pour influencer les gens, c’est la seule »), Bernard Lamon appelle les associés à s’impliquer directement et fortement dans ces évolutions pour gagner progressivement le cœur et la conscience des collaborateurs. « Par exemple, un nouveau logiciel de traitement des dossiers ne sera adopté par tous les membres d’un cabinet juridique que si les associés y montrent de l’intérêt, participent aux formations… », explique l’auteur.
Plus globalement, c’est toute une profession qui doit se mettre en mouvement et revoir son mode d’organisation : améliorer la formation initiale des avocats, mettre l’accent sur la formation continue et les technologies de l’information, faire de la déontologie « une véritable matière juridique », investir dans la connaissance, ne pas s’engager dans une « course à la taille critique avec des fusions entre cabinets sans aucune création de valeur »… Autant de pistes innovantes à emprunter avant que les cabinets ne se retrouvent réellement au pied du mur.
(1) Disponible gratuitement en ligne .
Source : Les Echos: En savoir plus